La barbarie dans la prairie

Dans la prairie, l'herbe est grasse. Grace à elle le sol est mou, et les moutons broutent, paisiblement.

Dans la prairie, il n'y a pas que des moutons. Au sol des fourmis fourmillent. Qui n'a pas vu des fourmis à l'ouvrage doutera de leur capacité à faire tomber un éléphant et à désintégrer toute sa carcasse. Tandis que dans les airs, des aigles sont aux aguets. Sous les bois des loups aboient, discrètement. Leur mutisme n'est pas insensé. Seraient-ils absents? Pas nécessairement! Dans tous les cas, leur silence ne signifie pas du tout qu'ils sont en sommeil.

Dans la prairie la vie se nourrit de la mort. Sans la mort, plus de vie, plus de prairie. Les végétaux vivants mangent leurs parties mortes, les autres végétaux et les animaux transformés en fumiers. Cependant, rares sont les espèces du règne végétal qui tuent pour se nourrir. Même si beaucoup de végétaux ou certaines de leurs parties contiennent du poison et causent la mort qui les nourrit, il se peut qu'ils n'en ai nullement conscience. Chose que je crois évidente, les végétaux qui tuent n'en ont ni la volonté ni la capacité d'initiative, tout comme ceux qui guérissent des maladies. Leurs victimes vont vers eux. Alors que les arbres, les herbes et les champignons subissent la mort ou s'en nourrissent sans dire un mot, d'instinct les humains, les insectes et les animaux luttent contre la mort et flirtent avec elle. Les rapaces tuent par nature et n'ont guère de choix. A leur tour ils seront tués, ou mourront simplement. Leurs restes iront à la terre et dans les airs, reviendront dans la vie via la nappe phréatique, les racines ou les feuilles inoffensives.

Dans la prairie, la rivière sort de son lit et féconde la terre qu'elle inonde. Se faisant, elle déverse sur ses rivages des dépôts nocifs à la vie animale. Morts, les animaux fertilisent davantage la prairie, et la vie qui l'habite. Morts, la mort ramène leurs eaux à la rivière, et réduit les restes en sels et cendres, pour nourrir encore la vie. L'eau de source est une eau de la vie, recyclée d'une vie antérieure pour nourrir la vie en cours et la vie d'avenir. Dans l'eau nagent les planctons, dans l'eau dit un dicton, les gros poissons mangent les petits. Mais aussi est-il vrai que sur terre de petits êtres terrassent des géants, en peu de temps ou sur plusieurs années. Ainsi va la vie!

Si dans la vie dite sauvage des animaux tuent pour se nourrir, la nature s'arrange pour que chaque espèce puisse se nourrir, des siens et des autres morts indépendamment de l'instinct de survie. L'espèce humaine ne fait pas l'exception. Des morts nous alimentent à notre insu. Nos morts sont dans nos assiettes, ceux des autres surtout. Bien que l'odeur du sang nous répugne, les morts ont meilleur goût. Si je ne peux tuer une poule, je paie cher pour qu'on me l'apporte à la table, farcie. Peu d'humains oseront tuer d'autres humains. Mais nous fabriquons et distribuons des armes pour donner la mort. Ou plutôt, nous en faisons le culte, sans aucun remord. Ces morts d'immolation sont pulvérisés dans l'air par les feux de nos armes. Cet air que chacun respire et dont est nourrie notre vie, transporte des parties de nous sous forme d'eau et diverses nanoparticules prélevées des voies respiratoires par l'expiration. Qui mange le poil, avale la moelle. Qui n'a pas mangé une cellule des lèvres de son voisin? Personne! Morts ou vivants, nous nous entremangeons. Ainsi, dira-t-on que l'homme sera toujours un loup. S'il ne peut avaler crue sa proie, il se nourrit d'abord de ses dépouilles. Qui sème la mort récolte des choux! Car, les morts n'emportent rien, et ce qui leur revenait profite au premier venu. Peut-on imaginer la prairie sans barbarie? Méditons, et confessons. Oui, la prairie redeviendra paisible.

Francois M.

2010

Retour page précédente

Leçons de la mort de Mouammar.

Le printemps arabe en quatre temps