Le peuple dans la rue, les intellos au resto, la dictature au galop !
Qu'est-ce que la rue, qu'est-ce que le resto ? La rue c'est le tiers état. L'état dans l'absence de l'ordre et sous l'épreuve de force du feu. Le feu comme source des pouvoirs de changements occasionnels ou saisonniers. Genre feu de brousse. Après ses ravages, la vie repousse sur de vieilles souches. Qu'en est-il du changement politique par la rue ?
Exaspéré, le peuple descend dans la rue pour rappeler son existence aux dirigeants malappris, corrompus par le mépris et l'oublie. Le mépris de la nation et l'oublie des lois du bon sens et de sagesse. Dans la rue le peuple allume des feux, un feu de camp face à la place du palais et un feu de brousse pour chasser du pouvoir imposteurs et fanfaronnards. Cela lui semble clair et suffisant. Hélas! C'est bien beau vider du grenier les charançons, mais il subsiste le défi de trouver la bonne graine pour le remplir à neuf.
Le peuple dans la rue aura vaille que vaille, à grands frais sûrement, gain de cause. Récemment au Burkina Faso par exemple le dictateur et l'armée sont forcés de quitter le temple de la politique. Tous les espoirs sont permis, mais des bémols également. Où est la relève, où sont les politiciens, quels ingrédients d'un changement transformationnel de la société ? Hélas l'informateur me renvoie vers le resto Le resto ! Lui est le nouveau mot favori de mon lexique, évocateur du "fast food" à l'américaine. Courte recette, rapide cuisson, mal bouffe, petits prix, grosse facture. L'illusion parfaite d'un pragmatisme optimisé et d'une utilité publique sans pépin.
Au resto sont sans cesse assis les intellos africains. Pendant que le peuple croise les feux avec les as de la « mal gouvernance », eux font le rang pour passer des commandes rapides. Nous sommes prêts pour servir la nation, dignement, promettent-ils. Prêts ! Avec qui et pour qui ? Le peuple n'est pas prêt, il est dans le feu de l'action. Bande de salopards !
Au resto, les intellos sont comme au repos. Un repos somme toute non mérité. Ils veulent le changement, mais la recette est trop courte. Changer comment, changer et quoi mieux faire ? Ah, on n'y a pas pensé, mais on va le savoir. Répondront-ils avec enthousiasme. Au moins cela rompt temporairement d'avec le pessimisme et l'angélisme habituels, béats. « Rapidement vous serez sacré Président, mais c'est longtemps plus tard que vous saurez ce que faire de votre présidence », observait le président Nixon le lendemain de son investiture. Un modèle on dirait pour les futures politiciens africains. Mais l'Amérique n'est pas l'Afrique. Là-bas les institutions sont des balises solides, ici elles sont des valises à moitié vides. Et pour cause, la mise insuffisante des cerveaux, coincés entre le cul-de-sac des dictatures et le resto de la rue. Le temps ne compte pas, celui de réflexion et de la préparation des changements a été gaspillé. Voici alors qu'on se retrouve surpris par un urgent appel au secours de la nation. Quel espoir ?
Les intellos sont surpris par l'assaut de la rue. La rue n'est pas un lieu de vie saine. Ses méthodes sont pareilles sinon pires que celles du fascisme. Ça casse et ça passe. Ainsi ça marche. Des façons autant destructrices que dégradantes. Je ne vois aucun mérite à vanter la rue. Rien de bon n'y pousse. À moins de vouloir décharger l'élite de ses obligations. Les intellos auraient dû par l'action de l'esprit prévenir, et épargner le peuple de cette salissante folie de rue. Tout feu produit des cendres et laisse de la suie. Toute violence est sale. C'est nettement plus sensé de pouvoir s'en passer.
Les intellos sont surpris par la chute et l'exil d'un dictateur. Agréablement surpris. Ce qui est a mon avis inquiétant et signe de leur impréparation. Car au fond ce jour est sombre pour le pays. Que le dictateur soit ramené à la raison, mais qu'il n'y ait aucune raison de lui faire fuir son pays. Nous voulons le changement, oui, mais quels changements? C'est important d'éclairer ce pied du mur qui s'écroule, c'est plus important de l'éclairer bien avant de le faire tomber. Sans cette préparation, bonjour le gâchis.
En Afrique les changements politiques arrivent à grands pas pour trouver une élite intellectuelle prête mais non préparée aux défis qui sont les siens. On a vu les trains de la décolonisation arriver à grandes vitesses à la fin des années 50, le résultat est que l'Afrique est à la fois colonisée, violée et méprisée. Par l'entremise de ses propres fils et filles. L'intellectuel aurait pu éviter ce piège par l'éclairage, l'appropriation et la pédagogie des politiques de bonne gouvernance. Nous sommes témoins d'un tel gâchis toutes les fois que le ciel se noircie et s'alourdit. Au Rwanda par exemple des intellos qui réclamaient avant 94 le pouvoir, se sont manifestés dans une triste posture lorsque la nation leur demanda de se mettre au dessus de la mêlée, pour sonner l'arrêt des carnages cette année-là. Aujourd'hui nous sommes en premières loges pour chanter l'hymne à la République, et recevoir les excuses de secouristes des temps ensoleillés. Comme à la commande au volant !
photo Afrique Expansion magazine
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